Les Saki satan (Chiropotes chiropotes) sont les singes les plus rarement observés en Guyane française, car ils résident exclusivement dans le tiers sud du territoire, au cœur de la forêt guyanaise qui est particulièrement difficile d’accès.
De plus, ils évoluent très haut dans les arbres, sont particulièrement discrets, et s’échappent rapidement une fois qu’ils ont repéré un potentiel prédateur (dont les Hommes) ce qui ne facilite pas l’observation.
C’est chez nos voisins, au Suriname, que j’ai, cette semaine, pu observer un groupe d’une quinzaine d’individus, à ma grande surprise !
Heureusement cette troupe vocalisait beaucoup ce qui m’a permis de les repérer très haut dans les arbres sur une crête.
Bien qu’ils soient actifs la journée, ce qui nous donne un coup de pouce dans nos tentatives d’observation, ils se déplacent beaucoup, et peuvent être très rapides !
On estime qu’ils font entre 2.5 et 4km en moyenne par jour (parfois plus de 6km (1) en consacrant beaucoup de leur temps au déplacement et au nourrissage !
Pourquoi voyager autant ?
Plus ils se déplacent, plus ils rencontrent des habitats différents et donc multiplient les chances de trouver des ressources en nourriture, tout en les diversifiant du même coup !
Mais ces déplacements ont un coût non négligeable en énergie, ce qui nous donne une idée de son régime alimentaire.
Des singes frugivores et granivores !
Les fruits et leurs graines représenteraient 75% de leur régime alimentaire annuel ! Et plus de 90% pendant la bonne période !
Plus de 175 espèces de plantes seraient choisies, en fonction de la disponibilité, en fonction des saisons et fructification.
Comme on l’a vu dans notre article sur l’Atèle noir, ce régime est donc particulièrement riche en énergie, leur offrant de quoi se déplacer, et rapidement si besoin, sur de grandes distances.
Ce qui le différencie des autres singes frugivores, c’est que ce Saki affectionnerait particulièrement les fruits non mûrs !
Ils prennent alors un train d’avance et limitent ainsi la concurrence avec les autres mammifères et oiseaux frugivores dans la recherche de nourriture !
(Cela vous rappellera peut être notre article sur la Tayra ou Martre à tête grise qui prélève des fruits non mûrs en vue de les manger plus tard ! )
Cela leur permettrait également, grâce à une mémorisation temporelle et spatiale, de repasser sur le même arbre à plusieurs reprises, à différents moments du cycle de la fructification !
Car bien qu’ils soient équipés pour récolter des fruits non mûrs, ils sont également capables de s’en nourrir à toutes les étapes de leur maturation.
Des adaptations pour ce régime particulier
Afin de pouvoir croquer, avaler et digérer des fruits non murs (certains étant d’ailleurs potentiellement toxiques pour d’autres singes) l’évolution a octroyé aux Saki satan différentes modifications anatomiques.
Les canines se sont développées et aiguisées pour pouvoir percer l’enveloppe des fruits non mûrs et donc bien plus durs, puis des incisives particulièrement tranchantes viennent ouvrir le fruit qui sera mâché avec les dents postérieures.
Leur dentition et leur mâchoire sont accompagnées de puissants muscles masséters et temporals pour venir à bout de ces fruits très durs avant de les passer ensuite « dans un estomac particulièrement étroit, un cæcum relativement large et un intestin grêle très long. » (1)
Un régime qui se diversifie quand les graines se font rares :
Les insectes, et les autres parties des plantes, comme les feuilles et les fleurs rentrent également en jeu lorsqu’il est plus difficile de trouver des fruits. Pendant ces périodes la chasse aux arthropodes peut alors représenter jusqu’à 40% de leurs temps de nourrissage !
Diptères, coléoptères , lépidoptères, hyménoptères, hémiptères pour n’en citer que quelques uns deviennent alors victimes de ces grands prédateurs !
Ils ont été observés s’attaquer à ces toutes petites proies avec une dextérité et une rapidité remarquable, le tout évidemment parfois en équilibre à 40 mètres au-dessus du sol !
En plus de cette diversification dans le régime alimentaire, il a également été noté des cas de géophagie (absorption de terre). (2)
Ce phénomène peut être expliqué par l’apport essentiel en minéraux que cette pratique permet, mais aussi de soulager les troubles gastro-intestinaux, d’absorber des toxines nocives, et de diminuer les excès d’acidité dans l’estomac.
La géophagie pourrait jouer également un rôle pour faciliter la digestion à long terme, ou sur certaines périodes où ils sont majoritairement consommés, des fruits non mûrs !
Ce régime quasi spécialisé dans les fruits, et notamment dans les fruits non mûrs, permet d’observer régulièrement les Saki satan a proximité d’autres espèce de singes, Capucins, Saïmiri, Saki à face pâle, Hurleurs, et même la compétition avec les Atèles semble faible due à la différence dans le stade de maturité et la partie des fruits prélevés.
Une façon de boire qui leur a valu leur nom :
Il a été observé des Saki satan, qui plongent les mains dans l’eau (notamment celle captée par les épiphytes) avant de les ramener vers la bouche et aspirer le liquide depuis leurs mains. Humboldt leur a ainsi donné le nom de Chiropotes : en Grec, Chiro signifiant : « au moyen de la main » et Potes : « buveur » (1)
Quand à l’héritage du nom « Satanas » ou « Saki Satan », serait-ce due à la couleur de leur pelage et à ces deux bosses très étonnantes que portent leurs têtes ? Dans un contexte où le plateau des Guyanes était surtout reconnu comme un enfer vert, sa faune peu connue et surtout vue comme hostile et dangereuse…
Des menaces qui pèsent sur ces superbes singes :
Évoluant très souvent à la cime des arbres, ils sont particulièrement repérables par la Harpie féroce qui représente un très sérieux prédateur, même si d’autres grands rapaces pourraient tenter leur chance notamment sur des jeunes Saki. En dessous de la canopée, se seront les Ocelots, les Tayras (Eira barbara), Jaguars, ou encore les Boïdés qui représentent une menace forçant à l’hypervigilance constante du groupe.
En dehors de ces prédateurs naturels, les différentes espèces de Saki sont menacés par les activités humaines. Il est aujourd’hui encore difficile d’estimer les populations, les menaces et notre impact car leurs habitats nous est particulièrement difficile d’accès.
Néanmoins, les différentes études pointent du doigts des activités de chasse, soit par des populations vivant à proximité de leurs habitats, soit pendant les exploitations aurifères, qui vont toujours bon train au cœur de la forêt…
D’autres études nous indiquent qu’on retrouve parfois des queues de Saki satan vendues comme souvenir, ou en usage domestique comme plumeau ou encore simplement en ornement. (1)
Heureusement ces activités ne sont pas constatées à grande échelle, la menace principale due aux activités humaines qui pèsent sur cette espèce est plutôt la fragmentation, l’altération et la perte de leurs habitats. Et ce, notamment par l’exploitation forestière et minière, la reconversion des zones forestières en terres agricoles, l’agriculture pastorale, l’ouverture de nouvelles routes et pistes, les projets de production d’énergie hydroélectrique, etc…
POUR EN SAVOIR PLUS / SOURCES :
Pour en savoir plus avec une lecture en français, n’hésitez pas à consulter le superbe travail du Parc amazonien sur cette espèce :
- (1) Etat de l’art sur le Saki satan – Parc Amazonien de Guyane
- Ayres J.M., 1989. Comparative feeding ecology of the Uakari and Bearded Saki, Cacajao and Chiropotes. Journal of Human Evolution, 18 (7), pp. 697‑716.
- Ayres J.M., Nessimian J.L., 1982. Evidence for insectivory in Chiropotes satanas. Primates, 23 (3), pp. 458‑459.
- Veiga, L., & Ferrari, S. (2013). Ecology and behavior of bearded sakis (genus Chiropotes). In L. Veiga, A. Barnett, S. Ferrari, & M. Norconk (Eds.), Evolutionary Biology and Conservation of Titis, Sakis and Uacaris (Cambridge Studies in Biological and Evolutionary Anthropology, pp. 240-249). Cambridge: Cambridge University Press. doi:10.1017/CBO9781139034210.028
- Socioecology of the Guianan bearded saki, Chiropotes sagulatus. January 2011, Tremaine Gregory January 2011
- Predation of arthropods by southern bearded sakis (Chiropotes satanas) in eastern brazilian amazonia. Liza M. Veiga, Stephen F. Ferrari. American Journal of Primatology. Volume 68, Issue2.Pages 209-215. February 2006
- (2) Liza M. Veiga, Stephen F. Ferrari. Geophagy at termitaria by bearded sakis (Chiropotes satanas) in Southeastern Brazilian Amazonia. January 2007
- Gron, K. J. (2009). Primate Factsheet: Bearded saki (Chiropotes). In: Primate Info Net, Wisconsin National Primate Research Center, University of Wisconsin – Madison. Available from: <https://primate.wisc.edu/primate-info-net/pin-factsheets/bearded-saki/>. Reviewed by Sarah Boyle. Last modified 26 June 2009.
- Boyle SA, Smith AT, Spironello W. 2008. Forest fragmentation in central Amazonia and its consequences for the brown bearded saki (Chirapotes satanas chirapotes [sic])[abstract]. Primate Eye 96:693.
- Ferrari SF, Pereira WLA, Santos RR, Veiga LM. 2004. Fatal attack of a Boa constrictor on a bearded saki (Chiropotes satanas utahicki). Folia Primatol 75(2):111-3.
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